Tight Eyez

les cours de la Colère

Yo! Voilà un an et demi que j’essaie d’écrire ce post. Pfff un an et demi.

… juste…

Peut-être me fallait-il tout ce temps pour remonter le fil des choses et comprendre ce qui alors s’était produit.

Donc on remonte à il y a un an et demi, alors que je participais, souvenez-vous, à ce stage de danse intensif à l’ URBAN DANCE CAMP. j’en avais chié… mais pas que. Vous-vous souvenez?

Pour le cours de Tight Eyez, c’est un peu différent : j’en ai pas chié, j’en ai MEGA CHIE et j’aurais aimé ajouter « mais pas que », mais cela m’a pris 1 an et demi, donc, pour le trouver ce « mais pas que »!

Donc sans transition, je vous propose une expérience : vous allez vous prendre en selfie, voilà, comme ça, tout.e mignonnet.te, tout.e pas au courant de ce que vous allez voir, tout.e pas au courant de ce qu’est le crump, tout.e même pas au courant que ça s’écrit avec un k.

Ok maintenant vous mettez le selfie à côté de l’écran et vous lancez cette vidéo.

 

Alors? bah voilà, vous à côté de la vidéo, c’était moi au cours de Tight Eyez.

Totalement, totalement… quoi en fait…? Je vois même pas de mot. tellement je suis sur une autre planète. tellement je suis dépassée. tellement mon être tout entier était un « WTF » géant et clignotant, écrit en police 428!

Tight Eyez c’est juste le mec qui a inventé le Krump! (ça veut dire Kingdom Radically Uplifted Mighty Praise)(ouais ok, je sais pas vraiment ce que ça veut dire)

Je veux dire :

1/ On peut inventer une danse

2/ On peut inventer cette danse-là.

Pour ceux qui ont vu l’incroyable film de David La Chapelle, RIZE, Tight Eyez est l’un des principaux protagonistes. Ce mec est une légende (et moi je savais même pas écrire Krump).

Bref… Tight Eyez est arrivé pour donner son cours. Il était d’abord sur le côté, de dos, regardait par terre, un casque vissé sur la tête,  esquissait ses gestes. je ne voyais que son dos mais weuhou, il y avait déjà une sorte de sensation à fleur de peau : Cet homme n’était que danse.

Puis il s’est avancé pour commencer le cours et là, tout le sol semblait trembler. C’était fabuleux et terrifiant.

Totalement envoûtant.

Il y avait un silence totalement médusé des étudiants. Tous les autres profs donnant des cours au UDC à ce moment là étaient venus assister au sien. Tout le monde voulait être son élève. et eux pour le coup riaient parfois nerveusement tellement tout cela était comme inconcevable.

Le stage m’a permis de faire 3 cours avec lui. Ses chorégraphies étaient d’une beauté sauvage et parfaitement hallucinante. C’était incroyablement dur, et la musique… weuhou, je me disais « donc vraiment là, je dois faire le step au moment des coups de feu?!!!!! BOUM. BOUM?!!! SANS DE-CON-NER!!!!! » Pfff, fallait déployer une puissance et une vélocité extrêmes. Fallait boxer en fait! Boxer, boxer et puis tout d’un coup s’envoler… J’oscillais entre désespoir, fou rire et parfois un peu de plaisir quand même.

Voici l’une de ses chorégraphies pendant le stage :

C’est pas hallucinant?!

Avant de commencer le 3e cours, Tight Eyez nous demande de nous assoir. Je vous retranscris sommairement en français. Pardonnez l’approximation (PARCE QUE C’ETAIT IL Y A 1 AN ET DEMI) :

« Je vous demande de vous asseoir car je me sens responsable de vous et de l’enseignement que vous allez recevoir de moi. Et pour cela vous devez connaître mon histoire.
J’ai grandi dans les ghettos de LA. Je ne connais pas mon père, ma mère était en prison pour problème de drogue, c’est ma grand-mère qui nous a élevés, mon frère et moi. Mon grand-père nous tapait tout le temps. Il avait des grands poings comme ça, mon grand père.

Et moi je dansais tout le temps. Dans le salon. Au début, je regardais Mickael Jackson à la télé, j’essayais de l’imiter. Et puis ensuite j’ai commencé à inventer mes propres mouvements.

Grâce à la danse, j’ai pu partir de la maison pour étudier. On m’a même appris les techniques du classique. En rentrant chez moi, j’étais devenu grand et fort. mon grand-père a voulu me taper à nouveau, mais cette fois-ci, je l’ai mis par terre. Il était furieux. nous sommes sortis en courant de la maison, avec ma grand-mère et mon frère. Il nous a suivi. J’ai juste eu le temps de protéger mon frère. BOUM. BOUM. J’ai regardé ma grand-mère, elle n’avait rien. Mon petit frère, rien. Le sang coulait pourtant et je me suis dit « bah, je viens de me faire tirer dessus! »

Tight Eyez nous montre alors l’impact de la balle, rentrée d’un côté du bras je crois, et ressortie de l’autre. Je ne sais pas si vous vous rendez compte…

« Je me suis dit que je ne retrouverais jamais l’usage de mon bras et que la danse c’était fini pour moi. et puis finalement on m’a soigné, je suis rentré à la maison et 1 semaine plus tard David La Chapelle sonnait à ma porte. vous connaissez la suite. 

Aujourd’hui, je voyage partout dans le monde pour enseigner le Krump, le mouvement grandit et me dépasse. Mais en vérité, je ne peux pas vous enseigner le Krump. Vous l’avez, ou vous l’avez pas. Moi, je peux vous montrer comment je fais, je peux vous enseigner l’essence du Krump, mais « danser » le Krump, ça je ne peux pas vous le transmettre.

Quand je danse, je suis au maximum de ma souffrance et de ma colère. Et cette souffrance et cette colère, seront toujours là. C’est en moi et ça ne partira jamais. En même temps, que j’ai réussi à leur donner une forme, à les exprimer. Et c’est parce que j’arrive à les exprimer par la danse, que je peux par ailleurs, être là, avec vous aujourd’hui. si calme. 

Alors voilà, pour ce dernier cours, je vous demande de danser avec votre colère. »

BOUM

BOUM

Nous nous sommes levés pour commencer le cours dans un silence respectueux.

La règle donnée était si simple…

si… insurmontable.

J’ai gardé un grand chagrin de ce cours car il m’a ensuite été impossible de danser. Je me sentais illégitime. J’étais pétrifiée. J’étais tellement pétrifiée que je savais même pas que j’étais pétrifiée en fait. Le cours s’est achevé, je n’ai pas dansé. je suis rentrée à Paris. avec le sentiment d’être passée à côté d’une chance. « MAIS PUTAIN TU LE REVERRAS PLUS JAMAIS BORDEL DE MERDE! C’EST FINI MAINTENANT! » Pendant quelques temps, je me suis dit « oh bah tu devais pas avoir assez de colère, c’est juste pas ton truc ». Je savais que je mentais. mais je pouvais juste pas « adresser » ce truc. C’était trop.

Le temps a passé. Cette expérience me revenait régulièrement en tête « ça veut dire quoi ce truc? CA VEUT DIRE QUOI? » Et l’autre jour, alors que j’étais en colère et que je criais très fort (avec le poing sur la table, les yeux exorbités et tout)(faudrait que je me prenne en selfie dans cet état…)(hahahahaha), j’ai compris.

1/ Tight Eyes est le premier à m’avoir démontré que j’en avais de la colère. J’avais été pétrifiée parce que me connecter à cet « espace » me terrorisait. Cela a été assez lent, mais depuis, j’ai compris (avec de l’aide, on en reparle bientôt) que j’en mourrais pas d’aller un peu par là-bas. Je m’autorise à visiter ce truc. à en comprendre les ressorts etc.

2/ Il m’a montré qu’on pouvait lui donner une forme vertueuse. Alors j’ai pas trouvé la mienne, mais ça m’aide le cas échéant à canaliser cette chose qui me terrifiait tellement, et qui malgré tout s’exprimait. et pouvait abîmer ceux que j’aime.

En repensant à lui il y a 2 jours, je l’ai revu, arrivant les yeux baissés, esquissant ses pas avant le cours et j’ai compris aussi… sa timidité. nan mais cet homme, si animal, si puissant, est un grand timide en fait! ça me fait voir sa danse d’une toute autre manière. le beauté a tellement de visages. J’ai compris qu’accepter certains de ses penchants, la colère, la souffrance, cette timidité, n’empêchait pas le dépassement, et que c’était même la condition parfois sine qua non pour grandir. Toucher les âmes.

Et les astres.

BOUM.

1 an et demi. C’est long comme cours non? Merci à vous Tight Eyez pour cet enseignement magnifique.

BOUM

 

Il y a 9 ans / Bouche 15 commentaire(s)

15 commentaire(s)

  • Mon dieur qu’est-ce que j’avais SURkiffé le film Rize… il m’avait retourné… Une telle puissance!!! Pfff! J’en ai encore des frissons en y repesant! Belle journée Mai!

  • Bonjour,

    Merci pour cet article…. Je garde un souvenir précis du film Rize et au début, tant de colère m’a effrayé… La danse, pour moi, avait jusque là une signification de grâce, de plénitude et là, le gars te montrait la colère, la tristesse, la rage de vivre et par dessus-tou, une protection, une pleine conscience de lui, de son être évoluant chaque jour avec les aléas… Mais il m’impressionne encore aujourd’hui et avec mes fils, on est complètement béats à chaque fois qu’on voit Rize… Même ma fille commence à adhérer…
    Mais merci pour ce partage plein de vie et d’émotions…

  • Quelle justesse dans cet article ! La danse dépasse toutes les frontières culturelles, elle touche quelque chose de si profond en nous, une animalité en sommeil, et nous métamorphose. Merci pour cette découverte, c’est très touchant.

    • merci, la danse est une exploration extra-ordinaire du corps et des émotions qui s’y logent, car en vérité, c’est bel et bien là qu’elles se trouve. et non pas dans le cerveau.

  • Qu’est-ce que c’est bien dit <3
    Des années que je veux refaire de la danse mais que je n'ose pas à cause d'une rotule baladeuse…
    Et des mois que je me dis qu'il me faut une activité pour me défouler, me libérer de ma colère et libérer de l'énergie tout simplement.

  • Merci Mai. Qu’est-ce que ça me touche… Pfiouuuuu… Alors on a le droit d’être en colère, c’est pas honteux? Et on peut même la danser ? L’horizon s’ouvre…

  • Je l’ai vu danser à une battle, à la Villette, mi 2015. Dément. Les équipes venaient du monde entier. Le krump est tellement instinctif que j’avais un peu peur qu’une partie des danseurs « fassent mine de », « jouent ». L’énergie était telle chaque fois que quelqu’un arrivait au milieu de cercle que j’ai été obligée d’admettre que l’énergie du krump est en chacun d’entre nous. Effectivement, liée à la colère, universelle.

  • Mai, Mai… comment se fait-ce que tu parles toujours des trucs qui me concernent au moment où ça me concerne ?? #etrangeconnexiond’excousine

  • C’est beau de dire qu’on peut donner une forme vertueuse à la colère. Il faut surtout s’autoriser à l’exprimer quand personne ne vous autorise à le faire pour ne pas être rongé par elle.
    Il est l’exemple parfait de la résilience. Au début du récit je me suis dit qu’il avait fuit dans la danse, mais il n’y a pas qu’une fuite, il y a surtout le moyen de récupérer de la fierté.

  • Ouaou…. quel apprentissage en effet! Je ne connaissais pas le c/krump – va falloir que j’aille voir ça! Mais ce que tu en dis – ce que Tight Eyez en dit – ouaou… c’est fort! La colère qui s’extériorise en danse. C’est drôle, dans les premiers moments du premier clip j’hésitais, l’impression qu’on avait affaire à un public/une ambiance de match de boxe, mais autour de la danse; une ‘vraie’ battle. Et grâce à vous je comprends… la colère canalisée, transcendée – mais vive… ouaou indeed!

  • Moi qui n’ais jamais « su » me mettre VRAIMENT en colère, et qd j’en ressens (souvent en ce moment) me sens débordée, envahie…sans réussir à l’adresser ou à lui donner une forme… Je suis très touchée par cette histoire et par tes mots, émue aux larmes…et curieuse de ce que ton « on y reviendra » sous réserve ! Merci beaucoup Mai!!!

  • Mai, comme toujours tu partages bien plus qu’un simple espace sur le web. Moi aussi je suis en colère, aggressive au fond mais j’ai appris à être gentille, à sourire dans les relations sociales. Si bien que cette colère ne s’exprime qu’avec les gens qui m’aiment parce que je sais qu’ils ne partiront pas. Mais ce n’est pas juste qu’ils reçoivent ma colère alors qu’ils n’ont rien fait pour la mériter. J’essaie de laisser ma colère s’exprimer plus souvent mais je suis comme toi, je n’ai pas trouvé un moyen d’expression qui me permettent d’en faire quelque chose de beau. A vrai dire je n’y avais jamais pensé dans ce sens, tu ouvres une nouvelle porte à explorer.

    Merci à toi et bonne journée Mai

  • Mais GRAVE!
    C’est si fou, parce que, à des degrés surement super différents, ce qu’il a en lui on l’a tous.tes en nous aussi, d’une façon ou d’une autre. Et de voir quelqu’un capable d’exprimer ça, de manière aussi frontale c’est vraiment, mais genre VRAIMENT, fascinant. T’imagines ce que le mec doit ressentir quand il danse? D’être capable d’aller chercher ça au fond, de se mettre au bord du gouffre et d’y sauter à pieds joint et en public en +.
    Je comprends carrément ce que tu dis, quand tu parles de chagrin. Je ressens ça aussi d’une certaine façon, quand je vois des oeuvres qui viennent toucher à quelque chose d’aussi proche et profond mais sur lequel je ne suis pas capable de faire autre chose que d’être muette (que ce soit des mots ou des gestes).
    En te lisant/regardant, je me demandais aussi si la caméra te servait de bouclier dans ces moments là? Comme une façon de pas vivre trop brutalement le sentiment de gêne qui va souvent avec la mise à nue. Tu en avais peut-être parlé dans ton post de base sur ce stage, je ne me rappelle plus (je me rappelle bien de Yanis Marshal en revanche, que je connaissais pas avant et qui est dingue aussi, dans un autre genre).

    Bien à toi.

    elsa

  • Mai, si ce n’est pas déjà fait, fonce voir cette vidéo !
    https://www.youtube.com/watch?time_continue=375&v=K4zwV9YDnxU

    Je suis restée captivée. Fascinée par l’énergie, l’envie, l’assurance et surtout la SE-CLA (!!) qui se dégage de chacun des danseurs. C’est fou comme chacun s’approprie la choré à sa façon. Et c’est fou comme ils gèrent tous, les petits comme les grands… C’est là qu’on voit quand même que ben.. le don, la flamme, tu l’as ou tu ne l’as pas, non ? Après des années à danser, je ne l’ai toujours pas trouvé moi, ce déclic. Celui qui te permet d’être dans le lâcher prise total tout en ayant une parfaite conscience de ton corps. Et je n’en admire que plus ces personnes, tellement belles et habitées par leur passion qu’on ne peut les lâcher du regard…
    Bonne soirée !

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *